Déchets infectieux et système REP
La crise du Covid-19 en ce printemps 2020 nous confronte à l’apparition – en masse - de nouveaux déchets à risque infectieux dans la poubelle des ménages. Il s’agit notamment des gants en plastique, des mouchoirs et serviettes en papier à usage unique mais également, et surtout, des masques sanitaires dont le port sera rendu obligatoire à tous dans certains espaces publics (transports, collèges et lycées, dans un premier temps) à la sortie de la période de confinement.
Reste que lorsque les ménages seront amenés à les jeter, ces produits devenus déchets et potentiellement infectés devront bien être gérés. Par qui et comment ?
Si l’élimination et le traitement de ces déchets sanitaires utilisés dans un cadre professionnel relèvent d’une obligation réglementaire spécifique pour leurs utilisateurs-détenteurs (hôpitaux, centres de santé ou professionnels libéraux) et d’un réseau de prestataires privés habilités pour leur enlèvement, l’arrivée de ces déchets infectieux dans le domaine ménager fait face à un vide tant juridique qu’opérationnel.
Elisabeth Borne, Ministre de l’Environnement, prescrivait récemment aux citoyens de les jeter dans un sac plastique hermétiquement fermé puis de mettre ce dernier dans le sac poubelle des ordures ménagères après un délai de 24 heures.
Même si ces précautions se comprennent bien sur un plan sanitaire pour les agents de la collecte, ce « sur-déchet » plastique est probablement d’utilité réduite car, in fine pris en charge par le Service public de la gestion des déchets (SPGD) ils seront généralement incinérés.
Et, quelques semaines seulement après la publication de la Loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (LEC - Loi n° 2020-105 du 10 février 2020) qui visait à limiter l’usage unique et les déchets en plastique, ces prescriptions, certes à visée sanitaire, sont aux antipodes du message que le Ministère a martelé pendant les mois qui ont précédés l’épidémie.
Entre nécessité de protection et d’élimination, d’une part, service public et secteur privé, d’autre part, l’organisation d’une filière pour la gestion des déchets à risques infectieux ménagers et assimilés et son financement sur l’ensemble du territoire, s’avère donc-t-elle nécessaire ? Jamais anticipée par les pouvoirs publics, cette situation illustre les difficultés qu’entraînent l’imperméabilité des filières de déchets selon leur typologie, leur nature (ménagère ou professionnelle) et leur gestionnaire (public ou privé) de notre système actuel.
Afin de limiter ces déchets potentiellement dangereux pour la santé publique, rationaliser leur gestion et étudier leur potentiel de réemploi ou de recyclage – à l’instar des techniques de stérilisation et d’assainissement pour pallier la pénurie actuelle de masques dans les établissements de santé - devrait-il être envisagé la mise en place rapide d’un dispositif de collecte et de traitement spécifiques ? Et puisqu’il s’agit de produits destinés aux ménages et assimilés, ne reviendrait-il pas en principe aux fabricants/producteurs la responsabilité de l’organisation et du financement de la gestion de la fin de vie des produits qu’ils mettent sur le marché au titre de leur Responsabilité Elargie de Producteur (REP) ?
La filière des déchets d’activité de soins à risques infectieux (DASRI) traite déjà de déchets infectieux mais perforants pour les patients en auto-traitement, ne conviendrait-il donc pas de l’étendre à ces nouveaux déchets infectieux ménagers en utilisant les circuits et réseaux de collecte déjà existants (ex. pharmacies, professionnels de santé) ? Il incomberait alors aux usagers de trier et d’utiliser des poubelles dédiées pour y déposer ces nouveaux déchets infectieux.
Cependant, le nouveau cadre des filières de déchets et la multiplication des filières portés dans la LEC – qui a rajouté par moins de 10 nouvelles filières de déchets (voir la frise des nouvelles REP sur notre site ), loin de permettre au système en place et à venir de s’adapter à l’étendue des déchets que notre société produit, ne fait que surajouter à la complexité du dispositif.
Cet épisode devrait nous aider à repenser le cadre de notre système de gestion des déchets en particulier des filières dites de « Responsabilité Elargies des Producteurs » (REP) : au lieu de les multiplier d’un point de vue fonctionnel (emballages, papiers, mobilier, jouets, etc.), bon nombre de nos filières de déchets parmi celles existantes ou à venir seraient en mesure d’unir leurs capacités et savoir-faire pour une gestion optimisée des déchets, leur collecte, la réutilisation ou la récupération des matières premières issues du recyclage. Les coûts de gestion en seraient divisés et cela bénéficierait autant aux producteurs qu’aux consommateurs (cf. nos travaux LFE :
La massification des déchets et ainsi en bout de chaîne des flux de matières premières issues du recyclage est un élément clé pour la rentabilité et l’autosuffisance des filières dans une logique d’économie circulaire. Le regroupement de filières, selon des critères de matières, de synergies opérationnelles ou de technologies de recyclage par exemple, permettrait d’intégrer davantage la flexibilité nécessaire pour traiter les nouveaux déchets que génèrent immanquablement les changements de consommation et de mode de vie autant que des événements imprévisibles tel que la crise du Covid-19.
Christèle Chancrin – Expert éco-contributions et filières REP
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